« Démocratie musulmane » : le critère de la liberté religieuse

Par Stéphane de SALLIER DUPIN, Conseiller régional de Bretagne
Paru dans « Valeurs actuelles » – 1er décembre 2011

Après « Ennahad » en Tunisie, la Charia en Libye, voici le Parti de la Justice et du Développement au Maroc en attendant les «frères musulmans » en Egypte, l’islamisme modéré, l’islamisme « light », la « démocratie musulumane »
La « démocratie musulmane » est le concept popularisé par Alexandre Adler dans son ouvrage « Rendez-vous avec l’Islam » publié en 2005. M. ADLER y évoquait l’AKP au pouvoir en Turquie, en espérant que ce mouvement soit un exemple pour l’ensemble du monde musulman.
Y sommes-nous ? C’est ce que les optimistes voudraient deviner en Tunisie, deuxième pays laïc de l’aire musulmane en Méditerranée après la Turquie, en constatant la majorité donnée à « Ennahda » le dimanche 23 octobre. C’est ainsi que certains qualifient le Parti de la Justice et du Développement qui a émergé cette semaine au Maroc. C’est enfin ce que d’autres dénoncent comme une escroquerie en voulant dresser des parallèles parfois hasardeux entre le Maghreb d’aujourd’hui et l’Iran de 1979.
Quels sont les critères objectifs à partir desquels il nous sera possible d’évaluer l’évolution des pays d’Islam vers une éventuelle « Démocratie musulmane » ?
Certes, les critères sociétaux serviront d’outils de mesures : l’égalité entre les hommes et les femmes, la question de la polygamie,… Ces critères sociétaux seront sans doute des marqueurs médiatiques du chemin vers une « Démocratie musulmane » ou vers un nouvel « Islam politique ». De nombreux observateurs les examineront avec une acuité méticuleuse. Il suffit de constater l’émotion légitime provoquée par l’agression sexuelle d’une journaliste de France 3, cette semaine sur la place Tahrir au Caire.
Mais il est un critère que nos élites se refusent à observer comme s’il était un critère du passé alors qu’il conditionne tout le reste : la question de la liberté religieuse. En quoi consiste cette liberté religieuse ? C’est la liberté de pratiquer, bien sûr, celle de construire ou de conserver des lieux de culte, celle de changer de religion, d’en adopter une ou de la rejeter, tout ce qui nous paraît naturel dans nos démocraties occidentales mais qui l’est manifestement moins dans les pays d’Islam. Peut-il en effet y avoir une démocratie sans liberté religieuse ? Peut-il y avoir une véritable neutralité laïque de l’Etat sans liberté religieuse ? Peut-il y avoir une véritable liberté individuelle, pour les hommes comme pour les femmes, sans liberté religieuse ? Peut-il y a avoir un droit à ne pas avoir de religion sans liberté religieuse ? « Ce droit de l’homme, qui est en réalité le premier des droits, parce que, historiquement, il a été affirmé en premier, et que, d’autre part, il a comme objet la dimension constitutive de l’homme, c’est à dire sa relation avec son Créateur, n’est-il pas trop souvent mis en discussion ou violé ? » rappelait le pape Benoit XVI lors de son discours au corps diplomatique le lundi 10 janvier 2011.
Pourquoi nos dirigeants occidentaux, et notamment français, ne sont-ils pas clairs sur ce thème ? Pourquoi ne disent-ils pas clairement que la liberté religieuse est pour nous, occientaux, un véritable marqueur de l’accès à la démocratie ? Pourquoi se refusent-ils à parler de réciprocité entre les pays où la liberté religieuse est garantie et ceux où elle ne l’est pas ? Pourquoi ne disent-ils pas, au regard de la pression turque sur les communautés chrétiennes, qu’il ne suffit pas d’avoir une Constitution laïque pour que la liberté religieuse soit garantie ? Pourquoi ne disent-ils pas que la destruction d’un lieu de culte contre l’avis de ses usagers n’est pas tolérable comme en Egypte ? Pourquoi n’affirment-ils pas qu’interdire les fonctions administratives ou électives sous prétexte de religion différente n’est pas digne d’une démocratie ? Pourquoi n’affirment pas que diffuser la Bible dans le Maghreb est ni un crime, ni un délit ?
Quand M. JUPPE demande le départ de M. ASSAD de Syrie, pourquoi n’affirme-t-il pas, par avance, les critères d’appréciation de l’Occident quand au chemin vers la démocratie, et en premier lieu la liberté religieuse ? Y-a-t-il là l’éternel complexe français qui consiste à rejeter son Histoire, celle de la France qui, sous la Monarchie, l’Empire ou la République a été la protectrice des Chrétiens d’Orient ? Pourquoi abandonner ce rôle éminent à la seule Russie orthodoxe qui, elle, en a le courage, comme l’analyse Antoine Sfeir, Directeur des cahiers de l’orient. Si M.M. ASSAD, père et fils, BEN ALI et MOUBARAK ne sont certainement pas des démocrates libéraux, ne garantissaient-ils pas, a minima, la liberté religieuse, notamment pour les chaldéens, les coptes, les syriaques, les greco-catholiques, les arméniens ? En Occident, les premières révolutions modernes ont affirmé en premier lieu la liberté religieuse. Est-ce un hasard ? Est-ce uniquement un modèle de la démocratie occidentale ou n’est-ce pas les bases d’une anthropologie universelle sur laquelle s’appuient nécessairement les valeurs démocratiques ?
Dans son message aux chrétiens d’Orient le 23 octobre 2010, Benoit XVI écrivait : « les chrétiens sont des citoyens originels et authentiques, loyaux à leurs patries et s’acquittant de tous leurs devoirs nationaux. Il est naturel qu’ils puissent jouir de tous les droits de la citoyenneté, de la liberté de conscience et de culte, de la liberté dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement et dans l’usage des moyens de communication. »
Dans le cas de la Turquie comme de la Tunisie, de la Libye comme de l’Egypte, aujourd’hui du Maroc et pourquoi pas demain de la Syrie, les dirigeants occidentaux gagneraient en clarté à affirmer qu’il n’y a pas de démocratie musulmane, chrétienne ou laïque, sans liberté religieuse. Ils n’en seraient que plus respectés par tous, croyants et non-croyants.

Une réflexion sur “« Démocratie musulmane » : le critère de la liberté religieuse

  1. Je suis entièrement d’accord avec vous il ne peut y avoir de démocratie sans liberté religieuse et sans respect de toutes les religions. Ce respect et cette liberté doivent s’exercer dans tous les sens à savoir des religions entre elles et vis à vis de l’état comme de l’état envers les religions sans oublier les non croyants .

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